Le bouvier et la tisserande

Monde et Nature

Lisez ce conte d'été d'origine chinoise !!

le pastoureau et la tisserande céleste

 

Le pastoureau et la Fileuse céleste

 

Les souverains terrestres n'avaient pas la vie facile. Nombreux parmi eux furent ceux qui ne réussirent pas , durant tout leur règne, à faire le tour de tout leur pays, même à cheval ou dans un palaquin. Mais, ce n'était rien encore à côté de l'immensité de l'empire du seigneur suprême des cieux ! Il possédait un espace si étendu qu'il fut obligé de diviser son univers en neuf cieux, et de les donner en dot à ses neuf filles. Cependant, notre récit ne nous emmènera que dans un seul de ces cieux, et chez une seule des neuf filles de l'empereur céleste, chez la belle Fileuse.

Il y a fort longtemps, dans une région montagneuse, vivait un garçon dont les parents étaient très très pauvres. Et comme chez tous les pauvres, il n'y avait souvent rien à se mettre sous la dent : le garçon, depuis d'âge de douze ans, avait dû gagner sa vie tout seul. Il se fit donc engager comme pastoureau chez un riche fermier, pour mener paître sa vache, avec pour tout salaire, quelques poignées de riz.

La vache que le pastoureau menait paître n'avait que la peau sur les os, et le pauvre garçon avait pitié d'elle. Il la menait brouter aux près très hauts sur les flancs des montagnes où l'herbe était particulièrement juteuse, et la faisait boire dans l'eau des ruisseaux à l'eau limpide.

  • Ma pauvrette, lui disait-il, tu es aussi maigre que moi. Mais, par bonheur, l'herbe ne coûte rien, régale-toi bien, mange à satiété !

Les années passèrent, le pastoureau devint un jeune homme, et grâce à ses soins, la vache n'était plus à plaindre. Ses flancs s'étaient arrondis, et sa robe était bien lisse et brillante. Un jour, il mena encore la vache à un alpage situé très haut dans la montagne. Il s'assit sur une pierre et se mit à contempler son compagnon à quatre pattes, qui le regardait, lui aussi, comme s'il voulait parler.

  • oh ! Que je suis triste, dit le berger à la vache. Si au moins tu pouvais parler ! Je ne me sentirais pas aussi seul.

La vache leva la tête, et le plus naturellement du monde, elle dit :

  • Justement, aujourd'hui même, je m'apprêtais à te remercier de tous les soins que tu m'as prodigués, chez pastoureau. Même un homme ne pourrait se sentir mieux avec toi ! Mais sache que je ne suis pas un animal ordinaire. Je suis une Vache sacrée. Aujourd'hui, je vais te récompenser de tous tes efforts.

Le berger avait passé tant d'années avec la vache aux pâturages que son langage humain ne l'avait pas surpris outre mesure. Il lui répondit :

  • Je ne me suis pas occupé de toi pour avoir, un jour, une récompense.

  • C'est pour cela que tu la mérites d'autant plus. Ecoute-moi bien à présent. Nous allons nous rendre ensemble quelque part où tu n'es encore jamais allé : nous irons dans l'empire du Maître Suprême des cieux, qui s'étend loin au-dessus des faîtes des montagnes. L'Empereur céleste a neuf filles, qui sont aussi belles que les fleurs de lotus au bord d'une fontaine. Mais la septième de ces neuf filles est comme cette fleur de lotus qui ne se déploie qu'une fois tous les mille ans. Nul n'a encore jamais aperçu une telle grâce. Cette jeune fille a les doigts si fins que de toutes les neuf filles, elle seule peut filer pour son père un nuage de soie. D'ailleurs, c'est elle aussi qui veille sur l'ouvrage de vos petites couturières. C'est pour cela que son père et ses sœurs l'appellent Fileuse.

  • Oh ! J'aimerais tellement voir de mes propres yeux une jeune fille d'une telle beauté, soupira le berger.

  • Tu la verras, dit la Vache sacrée. Et non seulement cela : je désire que la Fileuse devienne ta femme. Aujourd'hui, c'est la fête du Septième soir et toutes les neuf filles sortiront pour aller se baigner dans le lac céleste. Monte sur mon dos, je t'y amènerai !

Et la vache se mit à monter les coteaux verdoyants des montagnes, puis elle escalada les rochers dénudés d'un pas si sûr qu'on eût dit qu'elle avait l'habitude de passer par là tous les jours.

Lorsqu'elle eut enfin atteint, avec le garçon sur son dos, les sommets des montagnes, elle s'éleva dans les airs, laissant les nuages bien au-dessus d'eux.

Le berger ignorait combien de temps avait duré leur vol. Mais soudain, ils atterrirent dans un tout autre monde. Le garçon sauta sur l'herbe, dont les tiges étaient de jaspe. Sur les arbres alentour, il y avait des feuilles en chysoprase et on eût dit que quelqu'un avait taillé les fruits dans un rubis. Les tiges et les petites des fleurs étaient en néphrite, et sur les têtes des fleurs brillaient des coraux d'un rouge couleur sang. A quelques pas de l'endroit où se trouvait le garçon, s'étendait un immense lac. Dans l'eau cristalline du lac frétillaient des poissons, que même le plus habite des orfèvres ne sauraient jamais ciseler dans l'or pur.

  • as-tu remarqué ces jeunes filles qui se baignent dans l'eau du lac ? Demanda la Vache sacrée. Parmi les baigneuses, il y a aussi ta Fileuse. Approche-toi doucement de la berge, sans te faire remarquer, et saisis le kimono de la couleur des fleurs de cerisier. Surtout, ne le rends pas à la Fileuse avant qu'elle ne te promette de devenir ton épouse.

Le berger agit exactement selon les instructions de la Vache sacrée. Il s'empara du kimono rose, et serra son butin sur sa poitrine. Mais déjà les sœurs avaient remarqué l'intrus. Lorsqu'elles s'aperçurent qu'il s'était emparé d'une de leurs robes, effrayés, elles se mirent à crier :

  • Qui est-tu ? De quel droit oses-tu toucher aux robes des déesses ? Cria l'aînée au berger.

Mais ce dernier faisait la sourde oreille. Il tourna le dos aux sœurs ébahies, et il se dirigea vers le bosquet tout proche. Les jeunes filles sortirent rapidement sur la berge, endossèrent leurs robes, et coururent se dissimuler dans les buissons. Seule, la Fileuse ne put pas sortir de l'eau.

  • Je t'ordonne de me rendre sur-le-champ mon kimono ! Cria-t'elle au pastoureau. Tu ignores peut-être que l'Empereur Suprême des cieux est mon père, et qu'il va te punir pour ton impudence ?

  • Je te rendrai volontiers ta robe, seulement, il faudra d'abord que tu me promettes de devenir ma femme.

  • Je te supplie, rends-moi mon kimono, et ne demande pas ma main en échange. Mon père n'accepterait jamais notre mariage, car en te donnant ma main, il serait obligé de te donner aussi l'immortalité !

A ce moment-là, la Vache sacrée s'approcha d'un pas lent de la berge, et prit part à leur conversation :

  • l'Empereur céleste a déjà donné son consentement à votre mariage. Le saule que voilà te transmettra son message, tu n'as qu'à l'interroger.

Le saule inclina des branches vers la tête de la Fileuse, et un doux bruissement se fait entendre :

 

« une soirée de fête se prépare sur le lac endormi, où l'empereur céleste votre union bénit, que pour l'éternité ce grand amour soit célébré, que tes lèvres le scellent à présent par un baiser ! »

 

Le garçon plut beaucoup à la Fileuse céleste, même si ce n'était qu'un simple berger terrestre. D'ailleurs, c'était tout de même le pastoureau de la Vache sacrée. Lorsque la jeune fille eut la confirmation du consentement paternel à son mariage, à sont tour, elle promit au garçon de devenir son épouse, quand il lui aurait rendu son kimono rose.

Tandis qu'elle se rhabillait, le pastoureau fit ses adieux chaleureux à la Vache sacrée, en la remerciant de tout le bonheur qu'elle lui avait apporté. Là-dessus, la Fileuse et le jeune berger se prirent par la main, et se mirent en route à travers le ciel, foulant sous leurs pieds l'infini tapis d'herbe en jaspe, qui scintillait de milliers de fleurs en néphrite et en corail, traversant les forêts de chrysoprase. Sept longues journées, et sept longues nuits, dura leur marche dans ce paysage soudain toute triste. En appuyant sa tête contre l'épaule du pastoureau, elle lui dit :

  • Il faut que je m'en aille, à présent, mon bien-aimé. Oh ! Tu sais, même ici, dans le ciel, les coutumes veulent que l'on consacre bien plus de temps au travail qu'à l'amour ! Depuis sept longs jours je n'ai pas tissé un seul petit nuage, et chez vous, sur la terre, les rivières n'ont plus une seule goutte d'eau. Depuis huit jours, les jeunes couturières n'ont pas touché à la soie, et elles ne font que se réjouir avec leurs bien-aimés, tout comme nous deux. Nous allons nous séparer, mais dans un an, le jour de la fête du Septième soir, nous serons heureux à nouveau. Que l'idée de la longue attente ne t'attriste pas ; rappele-toi, pourtant, mon cher, que nous avons devant nous toute l'éternité pour nous aimer !

  • Non, non, je ne veux pas que tu me quittes, ma petite fleur de cerisier ! Implora le garçon, et il se mit à courir après la Fileuse, qui déjà, s'éloignait.

Mais avant même qu'il eût pu effleurer le petit doigt de sa main, la Fileuse tira de sa chevelure une épingle, et, avec la pointe, elle tira une raie sur le sol. Aussitôt, à l'endroit où elle venait de traverser le trait, un Fleuve d'Argent se mit à couler. De nos jours, on appelle ce fleuve la Voix lactée. La Fileuse était sur une rive, le garçon, sur l'autre, ils se dévisageaient tristement.

  • Ne me quitte pas, ma Fileuse, ma belle fleur de cerisier ! Continua de supplier le berger.

Pour empêcher sa ravissante épouse de partir, il lança, à travers les flots mugissants du fleuve, une corde sur l'autre rive. Il espérait ainsi attirer la Fileuse de son côté. Mais il n'avait pas lancé la corde suffisamment loin, et le nœud coulant tomba aux pieds de la Fileuse.

Un si grand amour toucha le cœur de la Fileuse. Ses lèvres déposèrent un léger baiser sur l'écheveau qu'elle portait toujours sur elle, puis, elle le lança au pastoureau de l'autre côté du Fleuve d'Argent, en échange de la corde du pastoureau. L'écheveau tomba aussi sur le sol devant les pieds du garçon.

Et depuis lors, le pastoureau et la Fileuse restent ainsi à se regarder de loin, chacun dressé sur une rive du Fleuve d'Argent, comme vous pouvez d'ailleurs le lire dans le ciel , dans ce beau livre abondant d'images. Ces trois étoiles luisantes sur une rive du Fleuve d'Argent, c'est la Fileuse et les trois étoiles plus petites à ses pieds, c'est le nœud coulant du pastoureau. Et les six étoiles scintillant de l'autre côté du courant, c'est le pastoureau . Mais que peut bien être cette petite touffe près des pieds du garçon ? Oh ! Oui, vous avez raison , c'est le petit écheveau de la bien-aimée céleste du berger !

Chaque année, à l'époque où l'été, paré d'innombrables fleurs réapparaît sur la terre, le pastoureau et sa Fileuse se rejoignent. Au soir du septième jour du septième mois, toutes les pies de la terre disparaissent. Elles s'envolent vers le Fleuve d'Argent, pour y contruire un pont. La Fileuse amoureuse traverse ce pont en courant pour aller rejoindre son pastoureau. La joie de leur rencontre leur fait montrer les larmes au yeux, et bientôt des filets de larmes ruissellent sur leurs joues. Ils se dissipent en minuscules gouttelettes, qui tombent sur la terre. Les gens allument des lampions et célèbrent la grande fête de l'été – la fête de la pluie. Heureusement que les larmes des deux amoureux viennent à cette époque-là, la Fileuse céleste ne songe même pas à se mettre à tisser les nuages qui soulageraient la terre desséchée...

Voilà, nous avons fini de filer. Le petit écheveau est maintenant tout mince, alors attrapez vite le bout du fil, pour ne pas laisser s'échapper avec lui, le conte suivant !